Accordéon : un Maugein* sinon rien.


Par un des rares après-midi torrides de cet été, le rendez-vous des pêcheurs bruisse à l’ombre des parasols. J’entre, mon hôte me présente à un couple qui se tient à l’ombre bienfaitrice. « Monsieur et madame Lachaize » m’informe le tenancier. Lui fut le patron pendant trente-deux ans de la fabrique des accordéons Maugein. Par curiosité, je pose quelques questions et enregistre les réponses. En fin de compte, l’entretien durera près d’une heure autour d’un instrument qui ne relève pas de mon ordinaire. Et l’homme de commencer : « Mon parcours atypique j’ai d’abord enseigné pendant 9 ans, et autant comme proviseur. Les frères Maugein sont décédés fin des années 1970 et partis sans descendance. À moi, simple pièce rapportée de la famille on m’a demandé de reprendre l’activité avec à l’époque deux cents ouvriers. Avec ma femme, nous avons décidé de répondre à la proposition. Et j’y ai travaillé trente-deux ans. » La conversation fatalement roule sur l’instrument et les difficultés du marché avec la concurrence italienne. Puis de Jean Ségurel et ses troubadours avec son piano à bretelle que beaucoup enviaient au point de passer commande à l’atelier Maugein du même que le sien. « L’accordéon revient sur le devant de la scène. Il s’est retrouvé sous l’éteignoir par la génération des Johnny Hallyday et Eddy Mitchell qui ont apporté des sons nouveaux. » Finalement, cantonné durant des décennies dans le musette et le folklore seuls quelques chanteurs s’accompagnaient de l’instrument. Chez Maugein, nous sommes passés de près de deux cents emplois à 19. Mais nous avons toujours travaillé et sorti des accordéons. Après la mode, la concurrence italienne a acheté des marques prestigieuses et les a formatées à ses méthodes. Nous, nous sommes restés des artisans : le musicien venait nous commander son chromatique et nous le lui fabriquions à sa demande. Mais nous ne possédions aucune compétitivité. Les Italiens proposent des instruments 50 % moins chers que les nôtres. Ce n’est que depuis 1985 qu’il est entré dans les conservatoires, mais un accordéon d’étude c’est près de 2500 euros chez Maugein et moitié prix par les Transalpins. « Nous avons toujours poursuivi nos méthodes artisanales. Et nous avons eu la chance de la reconnaissance de notre travail par des gens comme Sébastien Farges qui a enregistré Segurel en jazz. Fixi, avec son Maugein, s’aventure du côté du reggae avec Winston Mac Anuff. Les pommes de ma douche, le jazz manouche, la Rue Kétanou (Maugein), Marc Berthomieu, Daniel Mille, Claudio Capéo et tant d’autres émergent. La discussion arrive fatalement sur Galliano. Je donne mon avis tranché. « Galliano m’ennuie dans certains de ses disques où il veut jouer du classique. Mais à Jazz in Marciac, je l’ai vu interpréter, avec Wynton Marsalis, du Piaf et du Billie Holiday. « La foule » suivie de « Strange fruit » cela avait de la gueule. Lui de poursuivre : « Galliano, il n’a qu’un défaut ? » Me fait remarquer René Lachaize... « Il ne joue pas sur un Maugein.» Notre entretien se déroule à l’aune de cette boutade, échange de « spécialistes » aux goûts communs mâtinés d’humour et de décontraction. Heureusement que vous n’y connaissez rien. Ajoute-t-il. Mais je m’aperçois que nos affinités ne sont pas aussi éloignées l’une de l’autre. Une heure plus tard, nous sommes encore à aligner quelques noms : Privat, Duleu, Azzola, Verchu, Peirani, Beyer, Betti...qui vient de mourir à plus de cent ans. Nous échangeons quelques anecdotes toujours dans la bonne humeur pour ne pas dire la fantaisie. Madame Lachaize apporte également son grain de sel... Il n’est malheureusement bonne compagnie qui ne se quitte.

*L'entreprise fabrique de façon artisanale des accordéons diatoniques et chromatiques à Tulle. Elle possède depuis 2009 le label Entreprise du patrimoine vivant, en tant que l'une des dernières manufacture française d'accordéons

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