Le jour où Lucien Albuisson a tout perdu dans la maison Juéry



La communauté de communes Caldaguès Aubrac vient d’acquérir la propriété Juéry. Cet espace est resté tel que l’incendie détruisit les bâtiments le 8 avril 1956. Ce dimanche matin, il est environ six heures, Lucien Albuisson est déjà levé. Il a promis au cantonnier Dandurand, là-haut sur la route de Maurines de lui aider à couper du bois. Son fils dort, sa femme aussi. Il évite tout bruit. Prend le seau et descend l’escalier sans fermer la porte comme il le fait souvent... Jette un œil au ciel en sortant. La fontaine d'eau chaude est à 50 mètres au dessus du Remontalou. Il remplit son récipient. Presse le pas dans la froidure de l'aube. Il a encore gelé cette nuit-là, à pierre fendre. Revient vers l'immeuble. Le moulin est désaffecté, la boulangerie a cessé son activité, seul le magasin des Boucharin « la succursale Casino » est en service dans la partie restée intacte. Lorsqu’il entre dans le couloir, la chaleur le surprend, le feu dévore déjà les premières marches de l’escalier et grimpe vers l’appartement dont la porte restée ouverte aspire les flammes. Il donne l’alerte, s’inquiète… Six heures trente tout est fini… « Le dimanche 8 avril 1956, restera dans la mémoire des habitants de Chaudes-Aigues comme une date cruelle marquée à la fois par un impitoyable sinistre et l’un des plus nobles gestes humains. À six heures vingt, la population entière alertée était massée sur l’avenue Bourbon et assistait à un spectacle hallucinant. Le bâtiment entier de l’ancien moulin Juéry était la proie des flammes. Couvrant une surface d’environ 500 mètres carrés, cette énorme bâtisse longeait le quai du Gravier-Bas et, sur le côté : donnant sur l’avenue Bourbon était installée la succursale du Casino. Les pompiers, sous le commandement du lieutenant Pierre Cornut, organisèrent aussitôt le sauvetage des six familles habitant la maison. » Telle est la relation du drame dans le journal local du lendemain. Lucien marque un temps d’arrêt. Le silence se fait autour de la table il regarde le duplicata du livret de famille et les deux actes de décès d’Alain son fils de trois ans et celui de Justine son épouse, 24 ans. Même la cicatrice fermée, la plaie suinte toujours d’amertume. Sur l’écran de l’ordinateur, la photo d’une lance qui arrose ce deuxième étage… Il a accepté de nous parler de ce terrible épisode, de son existence qui l’a laissé démuni, quasiment nu, dans tous les sens de l’expression. Sans autres vêtements que ceux qu’il portait ce matin-là. Plus rien, ni papier, ni argent. Qu’est-ce qu’il a fait au « Bon Dieu » pour que justement ce jour du Seigneur là ? Une famille détruite, une vie consumée en quelques minutes. Dix-huit personnes se retrouvent sans abri. Elles seront relogées pour la plupart dans l’ancien établissement Claviéres, l’actuel Centre hospitalier Pierre Raynal. Les circonstances auront joué de malchance. L’amicale Parisienne de Chaudes-Aigues en février 1950 lors de son banquet annuel a organisé une souscription pour l’installation d’une sirène, mais... C’est le tambour du « père Boussuge » qui sonne le rappel on comprend que les pompiers arrivent trop tard. Pas d’échelle pour grimper par la fenêtre. Lui et ses deux frères : Émile et Georges, ont tout essayé avec les risques induits. De l’autre côté des jardins, il y avait un gamin de dix ans, effrayé par ce réveil matinal. Il garde en mémoire beaucoup d'images sans doute un des derniers vrais témoins de ce drame. René Molines, le maire actuel de Chaudes-Aigues, conserve des souvenirs précis. Il entend encore l’explosion d’une bouteille de gaz. Se rappelle l’absence d’échelle pour accéder, par l’extérieur, aux étages. La colère de l’édile, Pierre Raynal, averti tardivement. Ce stock incroyable de marchandises des Boucharin au milieu des massifs du jardin, surveillés par deux gendarmes pour dissuader du vol. Pour Lucien il y aura toujours, toute son existence, un détail qui le ramènera à ce jour funeste. Lorsqu’il demandera sa retraite, par exemple, il devra présenter son livret militaire attestant ses trois années passées en Allemagne sous le régime du STO. Il n’a pas pensé à se procurer un duplicata. Il sera pénalisé : son séjour allemand ne comptera pas. Et puis la vie doit se poursuivre. Il ne démordra jamais de sa version des faits diamétralement opposée à celle de l’enquête. Comme pour conjurer le sort il s’engagera dans le corps des sapeurs-pompiers. Y restera assidûment fidèle pendant 22 ans. Les photos défilent sur l’écran, reconnaît tel ou tel, prend du plaisir à retrouver ces images qui glissent progressivement du noir et blanc à la couleur. Il est sur toutes, « Toujours devant... à cause de ma taille », précise-t-il en souriant. Son frère, Milou, décédera de la poliomyélite. Il épousera la sœur de Justine, devenue veuve avec deux enfants en bas âge. Il élèvera avec elle Denise et Michel. 59 ans plus tard, à 93 ans il se retourne sur son passé. Son épouse l'accompagne dans ce voyage. Si certaines séquences s’estompent, d’autres restent intactes. Il est heureux de nous avoir raconté un peu de sa vie et d’avoir revu ces photographies, moments cathartiques probablement indispensables. Il ne s'en parlait jamais dans la famille. Le moment et le besoin étaient venus sans doute d'évacuer ce drame. Une question se pose comment fait on pour encaisser une telle situation ? A la suite de notre visite, sa nuit sera agitée… Nous avouera son entourage. 


L’héroïsme d’une mère.


A l’une des fenêtres des logements mansardés du deuxième étage Mme Albuisson, 24 ans, épouse de M. Lucien Albuisson. Une dizaine de bras s’avancèrent au-dessous de cette jeune femme et les sauveteurs impuissants lui lancèrent un ordre impérieux : sautez ! Mais sautez donc ! À travers la fournaise qui déjà les entourait, les pompiers ne reçurent qu’une réponse en écho : mon fils ! Et Mme Albuisson retourna dans son appartement envahi par le feu et la fumée. Elle ne devait plus reparaître. Quelques secondes plus tard, le toit s’écroulait... 

Les textes en italique sont extraits d'un article du journal local paru le 9 avril 1956

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